Sur les plans émotionnel et social, percevoir les émotions sur un visage est très important. Cela implique un nombre très élevé de circuits neuronaux. A priori, dans l’environnement du nourrisson, les visages apeurés sont rares. Des chercheurs du laboratoire de psychologie et de neurocognition de l’Université de Grenoble (France) ont cependant souhaité étudier cette question de la perception de la peur chez les bébés. A quel âge peuvent-ils lire la peur sur un visage ?

C’est vers 5-7 mois qu’émerge, chez les enfants, la capacité à classer certaines émotions du visage, et notamment les expressions faciales de la peur. Yeux écarquillés, sourcils levés, bouche (entr)ouverte : ces stimuli ont effectivement tendance à retenir l’attention du bébé. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que les visages craintifs pourraient être détectés préférentiellement par rapport aux visages heureux. Ils ont alors élaboré un protocole qui leur a permis d’étudier les réactions de 192 bébés face à différents types de visages.

Ont été inclus dans l’étude : 64 nourrissons de 3.5 mois (31 filles), 64 de 6 mois (31 filles) et 64 de 12 mois (32 filles). Concrètement, le bébé était assis sur les genoux d’un adulte qui a reçu l’ordre de ne pas interagir avec lui. Chaque nourrisson a visionné 6 stimuli diffusés sur deux écrans: des visages plus ou moins « bruités » (flous, pixélisés, d’aspect granuleux, voire uniquement constitués de taches). Ces visages d’hommes ou de femmes étaient soit heureux soit craintifs. Les stimuli étaient générés de telle sorte que la moitié avait des yeux plus visibles que la bouche, et que l’autre moitié avait moins les yeux moins visibles que la bouche. Chacun des essais comportait un modèle de visage avec un niveau de bruit visuel différent : (de 30 à 100 %). Les scientifiques ont utilisé une méthode d’analyse dite « multivariée » pour quantifier, à chaque essai, où le bébé portait son regard, combien de temps, etc.

Les résultats de l’étude ont été publiés dans la revue Proceedings of the Royal Society Part B : Biological Sciences. Pour tous les groupes d’âge, les nourrissons ont montré une préférence visuelle pour les visages les moins bruités. De plus, dès 3 mois et demi, cette préférence était la plus forte pour les visages dont les yeux et la bouche trahissaient de la manière la plus évidente, la peur. Reste que l’étude ne permet pas de préciser quels signes du visage (bouche, yeux) retiennent plus particulièrement l’attention des nourrissons.

Ce constat peut paraître quelque peu étrange, dans la mesure où à cet âge-là, l’environnement du bébé est généralement joyeux et sécurisant et que les signes de craintes y sont plutôt rares. En fait, cette détection préférentielle et précoce de la peur pourrait permettre aux nourrissons d’apprendre à porter attention aux visages apeurés et à détecter un danger. En ce sens, cela serait un signe que ce qu’on appelle l’instinct de survie (lié aux connexions fonctionnelles des réseaux limbique, visuel et attentionnel) est déjà présent chez le bébé !